>>L’oeil invisible, un film de Diego Lerman, par Lola de Sucre. En salle le 11 mai.
Paris, Place de l’Estrapade, avril 2011
Mercredi 13 avril à 19h
à la nouvelle librairie El Salón del libro, 21 rue des Fossés Saint-Jacques. Paris 5e (Près du Panthéon).
Rencontre avec le réalisateur argentin Diego Lerman à l’occasion de la sortie de son film L’Oeil invisible inspiré du roman Ciencias morales de Martin Kohan (Anagrama et Seuil).
Radio Librería couac ! comme dans les grandes radios, suite à des problèmes techniques nous ne pourrons jamais diffuser cette émission... merci tout de même pour leur brillantes participation à Diego Lerman, Carlos Schmerkin, Alberto Marquardt, Micaël et le public de la librairie. Comme quoi, les absents ont toujours tort !
En 2003, le jeune réalisateur argentin Diego Lerman nous a séduits avec un premier film réalisé sans beaucoup de moyens Tan de repente. L’image y était noire et blanche, les actrices de jeunes inconnues, le ton délibérément libre et le tout procurait une réelle bouffée d’air. Le film portait bien son titre « tan de repente » signifiant « tout à coup ». Tout à coup, un jeune cinéaste inconnu faisait irruption dans notre paysage cinématographique et nous proposait un film fait de ruptures de ton, souvent surprenantes où chaque personnage tentait d’évoluer en fonction de ses envies et de ses peurs. De fait, après ce premier coup d’essai réussi, l’on attendait avec impatience le deuxième opus du réalisateur et cela donna en 2006 Mientras tanto (Pendant ce temps). Le ton avait changé et le charme était rompu ; l’impression fut mitigée. Diego Lerman avait perdu entre les deux une tendresse un peu burlesque et aussi une liberté narrative qui fonctionnait si bien pour Tan de repente. Pourtant à y regarder de plus près, ce deuxième film tournait autour du même thème, celui du Désir. Dans Tan de repente les personnages désiraient et se frayaient un chemin à travers leurs pulsions, dans Mientras tanto le Désir était manquant, justement. Les rapports y étaient tristes et sans vie.
Le troisième film L’œil invisible de Diego Lerman sort aujourd’hui dans nos salles. Le Désir y est à nouveau omniprésent, mais se retrouve totalement brimé. Et pour cause : l’action se situe à Buenos Aires en 1982, alors que l’Argentine subit un régime dictatorial depuis 1976. Comment être un sujet désirant quand on est sous l’emprise de l’autorité ? Est-on un sujet désirant, peut-on l’être ou le rester ?
María Teresa (Julieta Zylberberg) est surveillante au Lycée National de Buenos Aires. Employée exemplaire dans le zèle qu’elle met à surveiller les élèves, elle devient, sous le regard du surveillant en chef, M. Biasutto, (Omar Nuñez), l’œil qui voit tout tout en échappant aux regards des autres.
Maria Teresa se plie à l’autorité (celle de son chef direct), et fait plier sous la sienne les élèves dont elle a la charge. Sa coiffure, son uniforme, son pas martial dans les couloirs (et des couloirs, il y en a beaucoup dans ce lycée !!) ainsi que son expression totalement figée où ne transparaissent ni émotion ni sentiment en font un parfait petit soldat. Diego Lerman colle l’œil de sa caméra sur ce soldat qui porte une coiffure stricte dans son travail. Pourtant, une fois chez lui, le soldat lâche ses cheveux, se délecte de l’eau qui coule sur sa peau en prenant sa douche, et soudain se féminise. C’est cette féminité qui est le pivot du film. Les regards de Maria Teresa au lycée sont portés irrésistiblement vers un lycéen. Ce regard désirant va à l’encontre de son statut de surveillante qui suit à la lettre les « préceptes » de Biassuto. Pourtant ce désir à peine reconnu la fait aller encore plus loin dans son dévouement, ce qui aiguise d’autant plus le désir pervers d’un autre. Maria Teresa, être zélé et autoritaire, est elle-même prise dans les rouages d’une machine plus forte qu’elle et qui aura le dernier mot. Sous le masque de cet être tout d’abord asexué, quelque chose de vivant prévaut mais ce vivant doit être, en ces temps de dictature, annihilé.
Le désir circule sans aucun doute tout le long du film. Désir de pouvoir et d’oppression sur l’autre, désir corrompu de l’autre, désir déplacé… toute une déclinaison du désir dans ce qu’il a de plus mortifère.
On échappe difficilement aux murs du lycée et rares sont les scènes tournées à l’extérieur du bâtiment. Ces scènes « extérieures » sont en fait des scènes d’intérieur puisqu’elles se déroulent principalement dans l’appartement qu’occupe Maria Teresa aux côtés de sa mère et de sa grand-mère (les hommes sont totalement absents dans cet univers matriarcal). La vie du personnage principal s’écoule, par conséquent, entre ces deux espaces confinés : espace professionnel et espace de vie, son appartement. Les deux lieux sont tout autant porteurs d’ondes négatives. L’espace intime, l’appartement donc, est porteur d’ondes néfastes. Ainsi, par exemple, dans celui-ci, la grand-mère envoie-t-elle cette réflexion cinglante à sa fille (la mère de Maria Teresa par conséquent ) tu vas rater comme tout ce que tu as fait dans la vie. Maria Teresa, présente, voit ainsi sa mère se faire humilier devant ses yeux. En dehors il y a la dictature. Celle-ci est annoncée par un carton dès le début du film qui, d’entrée de jeu, le contextualise. Le réalisateur ne souhaite en montrer aucune image, tout au plus concède-t-il de la rendre palpable par le bruit de l’explosion d’une bombe en milieu du film mais ce sera tout. Ce qui importe, c’est ce qui se déroule dans l’enceinte de ce lycée, les futurs dirigeants du pays y sont formés. Le film s’ouvre sur un groupe d’élèves en uniformes. Sommés de se tenir en rang, ces adolescents adoptent une démarche militaire. Rien ne doit détonner ou dépasser. Les chaussettes doivent être blanches et le cheveu coupé. Si tel n’est pas le cas, ils sont rappelés à l’ordre par les surveillants. Il est cependant plutôt rare que l’élève désobéisse.
L’autorité régente la vie des élèves et ce microcosme agit comme métaphore de ce qui se passe à l’extérieur : la Dictature. Dans cet espace restreint l’autorité est exacerbée, jeunes hommes, jeunes filles côtoient les moins jeunes qui les surveillent. Tout ce petit monde se regarde, s’épie, se désire ou s’emporte. Le désir est là mais bafoué, opprimé sous le joug de la discipline militaire qui prévaut. La catastrophe aura lieu, celle de l’intime, impossible d’y échapper tout comme il semblait difficile que le réalisateur lui-même puisse échapper, un jour, à la contrainte de faire un film sur ce moment terrible de l’Histoire de son pays.
Diego Lerman naît le 24 mars 1976 or ce même jour le général Jorge Rafael Videla, à la tête d’une junte militaire, s’empare du pouvoir. C’est le début d’une dictature qui durera 7 ans.
Pour son troisième film, Diego Lerman a basculé entièrement du côté de l’obscurité : névrose, perversité, frustration en sont quelques-uns des ingrédients. Le parcours que fait ce jeune cinéaste est indéniablement poignant et à suivre de près assurément.
Lola de Sucre
voici la critique de Mientras tanto deuxième long métrage de Diego Lerman.
Buenos Aires, mars 1982. Dans les rues de la capitale argentine, la dictature militaire est contestée.
María Teresa est surveillante au Lycée National de Buenos Aires, l’école qui forme les futures classes dirigeantes du pays. Elle a 23 ans et veut bien faire. M. Biasutto, le surveillant en chef, décèle tout de suite en elle l’employée zélée qu’il attendait et lui apprend à être l’œil qui voit tout, mais qui échappe aux regards des autres : l’œil invisible.
María Teresa se lance alors dans une surveillance acharnée de ce petit monde clos, imaginant, décelant, traquant...