Paris, septembre 2007
Le Rideau de sucre, film documentaire sur la Révolution cubaine, se place du point de vue de ceux qui ont vécu les
« années dorées » de cette révolution. Tout d’abord, il s’agit du regard de la réalisatrice elle-même.
Camila Guzmán Urzúa est née au Chili ; elle est accueillie avec sa famille à Cuba à la suite du coup d’Etat militaire. Elle grandit là, comme elle le dit, « dans une école ordinaire du quartier d’Altahabana ». Ensuite, il y a les autres : ses compagnons d’enfance, eux et elle représentent les Pionniers ou les « bâtisseurs de l’avenir ». C’est sur ce canevas que se construit le film : le regard de cette génération, un regard intérieur, intime, qui relie le passé au présent.
Sa voix à elle ouvre le film, qui précède sa photographie avant que n’apparaissent les autres.
Le passé est évoqué tout d’abord au moyen de portraits d’enfants devant lesquels des adultes d’aujourd’hui témoignent face à la caméra de
Camila Guzmán Urzúa.
Elle ne cache pas que ce regard est avant tout le sien, qu’elle est partie prenante tout au long de son film, et qu’elle assume totalement son irrémédiable présence. Par voie de conséquence, lorsqu’elle en vient à interroger sa propre mère, elle trouve une astuce pour apparaître également à l’écran en se filmant dans un miroir. Rien que de très logique en fait dans ce procédé, puisque c’est sa mère elle-même qui est filmée dans la scène et qui nous conte l’histoire de Camila enfant, photos à l’appui.
Il n’y a rien là qui réponde à un « narcissisme exacerbé » car tout paraît relever au contraire de l’honnêteté de la réalisatrice face au projet qu’elle s’efforce de mener à bien : faire son autoportrait, comprendre une histoire personnelle qui au bout du compte s’inscrit dans la grande Histoire.
Cette honnêteté suffirait à rendre
« Le rideau de sucre » particulièrement intéressant.
Le film s’impose comme une suite de témoignages et de portraits ponctués de quelques plans sur la Havane, de lieux qui ont perdu leur splendeur d’autrefois, comme par exemple l’ancien musée dédié à la mémoire de
Che Guevara devenu un endroit vide.
Il se dégage de l’ensemble un sentiment de grande nostalgie, puisque tout est évoqué au rythme de cette polyphonie. Le bon comme le mauvais, les souvenirs agréables comme les difficultés.
Parmi les bons souvenirs se détachent les goûters, copieux et évoqués les yeux brillants par un des témoins, ou bien encore cet appartement dont la mère de la réalisatrice n’entend pas bouger parce que, dit-elle, « c’est celui qu’on nous a donné lorsqu’on est arrivé. »
À présent, qu’est-il advenu ? car
Camila Guzmán Urzúa ne se contente pas de l’évocation des années passées, elle cherche à savoir où en est aujourd’hui cette génération. Elle, on le sait, est devenue réalisatrice ( elle a auparavant assisté son père le réalisateur
Patricio Guzmán sur
« La cruz del sur »). Mais les autres ? avec l’aide d’un de ses compagnons, elle énumère vers la fin du film la liste de tous ceux qui sont partis vivre à l’étranger.
Ce même compagnon évoque ses parents partis eux aussi, alors que lui a fait le choix de rester et conclut « Si tous s’en vont, qui restera ici ? »
La réalisatrice brosse le portrait d’une de ses meilleures amies, partie elle aussi et absente au moment où elle revient elle-même « au pays ». Cette amie ne témoigne donc pas devant la caméra. On ne peut l’apercevoir que sur une photographie puis sur une vidéo avouant « vous me manquez beaucoup... » ; sa voix disparaît alors pour celle d’une femme (sa sœur ? une amie ?...) qui lâche : « elle est partie le 25 novembre 2000 »...
Distanciation du témoignage donc, pour tenir compte du présent, et faire ressentir cet étiolement, ce sentiment d’abandon et de vide.
« Le Rideau de Sucre » est sans conteste un bien beau témoignage.
Lola de Sucre
Sortie nationale le 10 octobre 2007