Annick Louis est maître de conférences à l’université de Reims et chercheur au Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS-EHESS). Spécialiste de Borges, elle étudie principalement son œuvre à travers le prisme de l’histoire. Elle a déjà publié Borges, œuvre et manœuvre (L’Harmattan, 1997).
À partir du milieu des années 1930,
Jorge Luis Borges, jusque-là critique et poète, publie ses premières fictions courtes. Elles seront recueillies au cours de la décennie suivante dans deux volumes destinés à devenir ses œuvres plus célèbres :
Fictions (1944) et
L’Aleph (1949).
Durant cette période,
Borges n’a eu de cesse d’écrire contre les visions totalitaires et univoques de la réalité, notamment celle secrétée par le régime nazi. Toutefois son pari esthétique allait à l’encontre des choix réalisés par ses contemporains, ce qui put nourrir l’image, devenue proverbiale, d’un écrivain déraciné des réalités de son temps. Or, si les grands paradigmes des années du fascisme ne sont jamais explicitement thématisés dans ses fictions, ils y sont bien présents - mais de façon fragmentaire, oblique. Ainsi les nouvelles de
Fictions et
L’Aleph renvoient-elles à la théorie du complot, aux thèmes de la littérature antifasciste et du cinéma d’Hollywood (la notion d’héroïsme, la dichotomie alliés/ennemis), aux discours contemporains, celui des germanophiles et des péronistes argentins, celui des bourreaux nazis qui émergent lors des procès de Nuremberg.
À travers son esthétique oblique,
Borges livre une conception singulière du rôle et du statut des fictions, mais aussi des rapports entre la littérature et le réel - posés en termes de concurrence et d’énigme. Davantage qu’une simple relecture d’œuvres aussi puissantes qu’intrigantes, revenir aujourd’hui sur le
Borges des années de guerre permet de repenser le littéraire en dépassant l’opposition entre deux modes de représentation, l’un référentiel, l’autre fictionnel.
Les fictions du contemporain est le second tome de
Borges face au fascisme, enquête ouverte avec
Les causes du présent (2006), qui étudiait la production critique du
Borges des années 1930 aux années 1940.
Les causes du présent
Les positions de Borges face au fascisme sont connues. La forme que prit sa condamnation du phénomène l’est cependant beaucoup moins.
Le Borges des années 1930 et 1940 a fait un pari esthétique qui allait à l’encontre des choix réalisés par ses contemporains antifascistes : il proposa, dans ses essais et notes de la période, une écriture reposant sur une stratégie d’obliquité. Rarement, le fascisme, le nazisme ou l’antisémitisme y sont pris pour cible de manière frontale ; mais la culture et le rapport à la réalité sécrétés par l’univers fasciste y sont en permanence interrogés et combattus, à partir de la conviction que le littéraire n’est ni indépendant de l’histoire, ni un reflet de l’histoire. Une paradoxale mais véritable militance, intimement liée à la conception qu’a Borges du statut de la littérature en regard du réel.
Le premier volume de cette enquête, Les causes du présent, étudie la production critique du Borges des années 1930 aux années 1940, en interrogeant ses liens avec le contexte intellectuel et politique argentin, et européen, de l’époque.
Les éditions Aux lieux d’être