Delta du Paraná... Dans un labyrinthe de rivières et de ruisseaux, monde sensuel et sauvage, Alvaro mène une vie humble et solitaire, la pêche et la coupe des roseaux constituant son labeur quotidien.
Son homosexualité et sa passion pour les livres font de lui un personnage à part parmi les habitants de cette région d’Argentine perdue dans le temps. Le seul lien entre ce territoire sans frontières définies et la ville est constitué par "El León". Ce bateau-bus est piloté chaque jour par El Turu, un homme violent et autoritaire, devenu le relais incontournable de toute communication entre les habitants. El Turu voit la différence d’Alvaro comme une menace et semble déterminé à le harceler...
Une eau qui dit tout par Lola de Sucre
Premier film de
Santiago Otheguy,
La León prend place dans le Delta du Paraná. Ce décor, représente un espace de choix, un décor dans lequel on a d’emblée le sentiment que l’on pourrait raconter une histoire digne de ce nom. Cependant un bon décor ne suffit pas à faire un beau film. Dans
La león : contexte, décor, personnages, histoires et parcours de ces personnages trouvent un équilibre qui font toute la beauté du film.
Dans un style volontiers elliptique,
Santiago Otheguy laisse au spectateur une réelle liberté d’interprétation. Ce style qui s’attarde sur les personnages sans pour autant les « harceler » permet au spectateur une vision libérée, qui opère dans le sens d’une réelle émotion portée tout le long.
La nature est sauvage, difficile mais parfois accueillante dans cette région perdue d’Argentine. Elle est évoquée en noir et blanc : antagonisme du noir et blanc sur lequel est construit tout le film.
Tout commence par la mort et finira de même, entre les deux : un fleuve qui immuablement continuera de couler.
Mort du début du film : douteuse selon certains, mort claire pour les autres : c’est en commençant par elle, cette mort qui bouleverse tout, que vont s’inscrire les deux personnages principaux du film (par ailleurs étant eux-mêmes les deux acteurs professionnels du film) : Alvaro (
Jorge Roman), et El Turu (
Daniel Valenzuela)
Autant Alvaro est mince, peu bavard, solitaire et travailleur, autant El Turu qui conduit le bateau bus, El León, est ventripotent et parle fort.
Autant Alvaro est discret autant El Turu recherche-t-il sans cesse à le provoquer.
Les différences sont bien marquées, et cependant
Santiago Otheguy marque encore plus l’antagonisme en faisant du personnage d’Alvaro un homosexuel. Pas question ici cependant de faire un plaidoyer sur l’homosexualité, tel n’est pas le sujet, celle-ci sert juste à rendre encore plus marquante la différence entre les hommes et le sentiment de décalage incessant dans cette région reculée du monde.
C’est dans ce sens-là que la scène où l’on voit Alvaro se doucher après un match de foot alors qu’au premier plan El Turu tente de remettre sa chaîne autour du cou semble la moins réussie du film. Elle est moins subtile qu’une autre et quelque peu redondante, appuyant un peu trop sur ce que l’on ressent déjà. Cependant le thème de l’homosexualité permet aussi, d’un point de vue scénaristique, de donner une issue au film.
Parallèlement à cette scène un peu trop dite, une des plus belles scènes est celle où Alvaro prend les mains du vieil homme avec qui il ramasse les roseaux. On sent dans cette caresse son attachement à l’homme qui fait figure de père.
Lourdeur alors d’un côté, mais finesse de l’autre : telle la différence entre les deux personnages.
El Turu tourne sans cesse autour de cet homme qui représente l’Autre, le danger, mais également entraîne des sentiments plus complexes. Alvaro ne réagira pas aussitôt devant ces provocations, cet homme-là se contente de vivre seul sans nuire à qui que ce soit. Cette passivité harmonieuse, servie par de longs plans muets d’Alvaro dans son quotidien (dans sa maison au bord de l’eau, dans son travail, etc.) sera au final bien plus forte que la violence d’El Turu, personnage tyrannique qui détient, soi-disant, et la parole et le moyen de communication que représente son bateau bus.
Film d’eau : l’eau transporte les vivants comme les morts.
Réceptacle de toute émotion humaine, c’est sur cette eau que disserte
La Léon, sans fin, en boucle...
Lola de Sucre