Dans le dernier film de Pablo Trapero, « Nacido y Criado » (que l’on pourrait traduire par « Né et élevé »), il y a l’apparente envie de dire les choses sans surprise, quitte à ce que cela soit si parfaitement prévisible que cela en devienne agaçant.
Le début du film distille ce sentiment, à commencer par le générique. Photos de petite fille, photo de femme ; mère et fille, fille seule, puis plus rarement du père, et des trois ensemble. Suivent ensuite des scènes qui constituent un prologue : tout est beau, impeccable, immaculé, la vie de couple, la vie de famille, le confort matériel.... Tout semble harmonieux et équilibré dans la vie de Santiago (Guillermo Pfening), Milli (Martina Gusman) et leur fille Josefina (Victoria Vescio).
Le début de « Nacido y Criado » est pourtant traversé par les moments où le personnage principal montre des gestes d’inquiétude. C’est subtil, peu marqué, mais s’inscrit en filigrane tout au long du prologue. Par ailleurs, le spectateur s’attend à quelque événement dramatique parce que justement tout est trop appuyé dans ce sens, l’harmonie est trop visible, trop redondante. Le suspens ne fait que s’amplifier alors même que l’on sait que nous ne sommes pas dans un film à suspens et que le propos n’est pas tout à fait celui-là. Où veut donc nous mener Pablo Trapero ici ? Il délaisse la "grande" famille de son précédent film (« Familia rodante », 2004) pour se concentrer sur la base épurée : père, mère et fille.
Assez rapidement, on parvient néanmoins au plus profond du film et l’on commence à comprendre le choix d’un début aussi limpide, volontairement "impeccable".
C’est alors le "blanc" qui effectue le lien, blanc présent aussi bien au coeur de la vie de famille harmonieuse et lisse qu’aux instants où l’équilibre apparaîtra définitivement cassé. L’intérieur de la maison bourgeoise de Santiago est définitivement blanc, aussi blanc que la neige des paysages de Patagonie.
Le "blanc-neige" devient ainsi une partie constituante de la deuxième partie du film. Il impose son omniprésence au moment le plus noir de la vie de Santiago.
Le réalisateur va suivre la destinée de son personnage masculin Santiago, et il ne suivra plus qu’elle. Exit la grande ville de Buenos Aires, exit la famille, après une ellipse qui laisse les personnages féminins en très mauvaise posture (que deviennent-elles après l’accident ?), nous retrouvons Santiago, barbu, cheveux longs, au fin fond de la Patagonie.
Nous croyons vivre le temps du deuil avec le héros et pourtant l’intérêt de « Nacido y Criado » est de nous mener dans une voie qui n’est pas celle que l’on croyait suivre.
Autrement dit, alors qu’on s’était persuadé que le héros était parti pour échapper à un deuil insurmontable, on découvre qu’il a fui devant l’imminence du pire (la mort des siennes) tout en ne sachant pas, en fait, pas ce qui s’est vraiment passé. Reviennent à ce moment-là ces petits détails qui laissaient pressentir le parcours du héros. Ce héros, plongé dans l’inquiétude dès le début du film alors que tout semblait aller bien pour lui. Car il ne parvenait pas toujours à trouver le sommeil, il s’inquiétait pour son travail, il s’inquiétait par rapport à sa femme... ; autant de petites choses annoncées, mais que l’on ne comprend totalement qu’après coup, en suivant le cours de sa retraite en Patagonie.
Le film distille alors un certain mystère. On finit par s’interroger sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, on se doute bien, mais en fin de compte on ne sait rien. On suit un homme accablé par sa culpabilité, dans un sentiment largement préexistant à l’accident. Il ne s’agit d’ailleurs pas de savoir pourquoi ce sentiment existe, mais de constater qu’il est bien là.
Dans sa deuxième vie, en Patagonie, Santiago passe son temps avec des compagnons d’infortune, Robert (Federico Elqyuerro) et el Cacique (Tomas Lipan). Quand enfin il révèle à Robert sa vie d’avant, celui-ci lui fait une réponse étonnante : "mais ce n’est pas vrai, tu n’as pas de famille".
C’est tout l’intérêt de ce film et ce qui en fait un témoignage émouvant : il touche à quelque chose d’universel, la peur de perdre les siens, une forme d’angoisse insurmontable. De ce point de vue, le prologue devient presque inutile, et Pablo Trapero aurait certainement réussi à communiquer le même sentiment au spectateur sans avoir eu besoin de marquer aussi fortement, et montrer de cette manière la vie harmonieuse de Santiago.
Il n’en demeure pas moins que « Nacido y Criado » touche malgré ses maladresses et ses redondances.