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Les aficionados peu prévoyants savaient depuis longtemps qu’ils devraient se contenter des places de la revente pour le dernier jour de la feria des vendanges où le cartel dirigé par Denis Loré annonçait deux des plus grands toreros du moment, José Tomás, de Galapagar et Sébastien Castella, de Béziers. Le soleil était de la partie et comme tout portait à la joie, la rue et les bodegas débordaient d’enthousiasme. Les lève-tôt avaient même déjà oublié le goût d’inachevé que la corrida du matin leur avait laissé en dépit de l’émotion suscitée par les adieux du grand César Rincón aux arènes nîmoises.
Il n’est pas si facile pour un latino-américain de triompher en Europe, et le maestro colombien avait dû bénéficier d’un soupçon de chance pour figurer au dernier moment sur le cartel de la San Isidro de 1991 qui lui ferait connaître la gloire. Seize ans plus tard, à la fin d’une longue tournée d’adieux, sa trajectoire torera se terminait en France avec la corrida de Juan Pedro Domecq où il coupait une oreille avant que, vers 15 heures, la bodega des Amis de Pablo Romero ne lui rende un hommage émouvant. Après les discours, la cerveza et les tapas, après le rituel du café pris à un comptoir du coin, il était temps de songer à un autre événement en prenant le chemin de l’amphithéâtre romain.
Castella ne serait pas là, mais à sa place allait débuter un torero mexicain de 18 ans tout juste sorti de l’alternative arlésienne. Joselito Adame, d’Aguascalientes, inconnu au bataillon du plus grand nombre. Eh bien, à l’instar de son illustre aîné colombien, le Joselito mexicain sut profiter à son tour de la chance offerte en cette journée estivale. Avec la présence du Français Denis Loré qui abandonnait la profession ce même jour, c’était comme si la latinité s’était donné rendez-vous à Nîmes pour témoigner de l’importance du lien indéfectible et salutaire entre les modes de représentation hispano-américains et l’art tauromachique.
Jour de fête pour tous à un titre ou un autre. Les spectateurs avaient opté pour la réjouissance, dédaignant pour un temps les exigences un peu sourcilleuses d’une tauromachie par trop vénérable. Ils se contentèrent donc de bêtes peu impressionnantes de tête (l’armure du cinquième était même plus que douteuse) et au jeu souvent moyen, afin de mieux rendre hommage à la dignité et l’intelligence de ceux qui officiaient dans l’après-midi.
Et puisque décidément c’était son jour, Joselito Adame sut tirer profit du meilleur lot de la corrida. Car le joli Mesonero de 570 kilos que Denis Loré lui céda pour confirmer l’alternative française étalait une noblesse toute contractuelle et un certain manque de race qui ne justifiaient guère le tour de piste posthume concédé. Et le petit Inglés, le plus vif, le plus mobile de l’après-midi, permettait de briller. Bon capeador (dans un style très « mexicain »), aussi artiste que valeureux, aussi sûr que sérieux aux banderilles (son ultime paire, parfaitement exposée, pourrait prendre place dans une anthologie), il fit preuve d’élégance et de facilité dans son travail à la muleta, sachant conclure au bon moment d’estocades fort engagées, alors même qu’un peu de fatigue avait restreint l’ampleur de ses enchaînements au cours de la seconde faena.
Héraut d’une Colombie qu’il a su porter au plus haut de la planète toro -et même au-delà-, César de Bogota avait tenu à se faire regretter le matin, en tant que torero d’exception. N’a-t-il pas été un de ces rares artistes capables de nous faire voir le toro dans toute sa plénitude animale grâce à sa science des distances, du terrain, son humilité et son courage. Avec le maestro s’exposant à la corne, ils étaient toujours deux à s’exprimer sur le sable de la piste, à se respecter, à briller. Question de passion et de foi sans doute, celles qu’il laisse déjà transparaître dans les animaux qu’il élève désormais en Espagne sous le fer de El Torreón.
A Nîmes, ce 16 septembre 2007, une manière de boucle était bouclée. L’Amérique latine montrait sa diversité en même temps que sa vitalité taurine. Le jeune torero reprenait la plume de celui qui avait écrit des pages exceptionnelles dans le grand livre ouvert des deux côtés de l’Atlantique.