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« Buenos Aires 1977 » : un thriller psychologique haletant sur la dictature argentine.
Le juge lui donne trois jours pour parler, faute de quoi il sera exécuté. « En réalité, il m’avait donné 10 jours », corrige Guillermo Fernandez. Reste que l’ultimatum sert de déclencheur : Guillermo décide de s’évader de la maison Seré, sinistre centre de torture clandestin sous la dernière dictature argentine (1976-1983). Depuis, Guillermo Fernandez est devenu acteur. Dans « Buenos Aires 1977 », il interprète le rôle du juge qu’il a eu en face de lui à l’époque. « Une satisfaction énorme, une revanche. La tension était particulière à ce moment-là sur le plateau. Ça a été un clin d’œil à la vie », raconte l’ancien rescapé, voix grave, souriant et les yeux parfois humides.
« Buenos Aires 1977 », réalisé par Israel Adrián Caetano, raconte une histoire dans l’Histoire : l’évasion de quatre jeunes, séquestrés et torturés durant 6 mois. Des faits réels relatés par l’un des survivants, Claudio Tamburrini, dans « Paso libre, la fuga de la Mansion Seré », le livre qui a inspiré le film.
En compétition au 59e festival de Cannes, « Buenos Aires 1977 » est un thriller psychologique, huis clos entre bourreaux et victimes dans une ancienne demeure bourgeoise de la province de Buenos Aires. Deux étages, un jardin, des fenêtres aux volets fermés en permanence. La maison a été construite au 19e siècle par un Français, Jean Seré, qui avait fait fortune dans le bétail. Toujours filmée de biais, à moitié cachée, la « Mansion Seré » est monstrueuse et inquiétante. « C’est comme ça qu’on la voyait, sous le bandeau qui nous cachait la vue. Le traitement de l’image et des couleurs relève presque de la peinture ». Le film suggère plus qu’il ne montre. La musique, haletante, reproduit un souffle accéléré. La lumière va et vient dans un univers fantasmagorique. La caméra donne à voir ce que les prisonniers entr’aperçoivent, depuis le ras du sol. La bande-son donne à entendre ce qu’ils ressentent. « A Seré, il y avait un escalier en bois qui menait au premier étage. Celui de la maison louée pour le film faisait le même bruit. J’ai vécu là-bas en voyant à travers mes oreilles », raconte Guillermo Fernandez, qui a également servi de conseiller durant tout le tournage. Guillermo a 19 ans quand il est arrêté. Il est inscrit en droit et milite chez les Montoneros, le mouvement armé issu du péronisme. Il distribue des tracts et imprime un journal. Il fêtera ses 20 ans dans la maison Mansé. Claudio est âgé de 23 ans. Il est gardien de but, étudiant en philosophie et sympathisant communiste. Ce que veulent leurs tortionnaires : des noms, des dates, des lieux car des attentats seraient en préparation.
Pas de politique dans le dernier opus de Caetano, mais « une histoire de survivants, échappés de l’enfer », explique le réalisateur. Pour Guillermo, « une tranche de vie ». « Jusqu’ici les films sur la dictature dénonçaient », déclarait Claudio Tamburrini au quotidien Pagina 12 lors de la sortie du film en Argentine, il y a un an. « Ce cinéma racontait les conflits entre deux groupes, ceux qui portaient un uniforme et ceux qui avaient les mains liées et qu’on torturait. Il y a eu de très bons films. Mais il fallait montrer et raconter d’autres combats, nécessaires à la mémoire collective : les combats propres à chaque camp. Ce dernier aspect est très bien décrit dans le film de Caetano (...) ». Dans « Buenos Aires 1977 », jalousie, aigreur, lâcheté n’épargnent ni les gardes ni les prisonniers.
Silvina Carbone
« Buenos Aires 1977 » d’Israel Adrián Caetano en salle.
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