Une maison des bois perdue dans les dunes quelque part sur la côte uruguayenne : Kraken (Ricardo Darin) et Suli (Valeria Bertuccelli) reçoivent un couple d’amis et leur fils Alvaro (Martin Piroyansky), venus « d’en face », d’Argentine.
Alex (Inés Efron), pourtant sujet principal de XXY, est le dernier personnage qui apparaît à l’écran dans ce premier film de la réalisatrice argentine Lucia Puenzo.
(Lucia Puenzo, est fille du cinéaste Luis Puenzo, le réalisateur de « La historia oficial » oscarisé en 1985).
Rien de festif ni de joyeux dans cette arrivée d’amis ; au contraire, quelques très courtes répliques, volontairement elliptiques, aiguisent les sens du spectateur. A l’instant qu’elle entre en scène, Alex ne tient pas en place (les personnages sont assis autour d’une table), et la première chose que l’on apprend d’elle est qu’elle va se faire expulser de son école pour avoir cassé le nez de son meilleur ami.
L’arrivée d’Alex installe un trouble devenu palpable après avoir été ressenti comme latent. On appréhende enfin le trouble incarné par cette adolescente : Alex, jeune fille de 15 ans, bagarreuse, sauvage et directe, qui aborde Alvaro et prend toujours les devants.
Dès cette première apparition, c’est elle que l’on observe, spectateurs que nous sommes, comme d’ailleurs, tous les personnages du film.
XXY est construit autour du regard des uns et des autres sur Alex.
L’histoire de l’individu fait le sujet du film ; l’histoire d’Alex et de son secret puisque Alex est hermaphrodite.
Le chirurgien la regarde comme un objet de curiosité et sans états d’âme car il veut l’opérer.
Les adolescents ne se contentent pas de la regarder, ils veulent voir de leurs propres yeux, dans une scène d’une grande violence qui s’apparente à un viol.
Alvaro, lui, la suit quasiment toujours, il est comme emporté dans son sillage et révélé à lui-même. Personnage très touchant, cet adolescent étranger à ses parents, est lui-même totalement nié par un père incapable de concevoir la différence.
Pendant que Alex et Alvaro se sentent attirés l’un par l’autre, les adultes eux, discutent, mais jamais ensemble car le père est délibérément à part. Kraken, l’ours, superbe Ricardo Darin, est le deuxième personnage à sortir de ses gonds, tout comme sa fille. Et pour cause, il la défend, il est d’emblée celui qui la soutient, quitte à en venir aux mains. Forte figure que celle de ce père, toute la beauté du film tient dans ce lien là. La mère, en contrepartie, se révèle bien terne ; même lorsqu’elle embrasse sa fille, la distance est là, forte et têtue, comme si les deux corps ne pouvaient pas se toucher. En manière d’explication, Suli confie à ses amis qu’elle avait peur que « quelqu’un passe » quand Alex a été conçue dans les dunes. On ne saura pas grand chose d’autre sur elle. Cette confidence, ainsi que sa difficulté à parler à Kraken, (dès le début du film son amie lui demande « tu l’as dis à Kraken ? non pas encore ») en font un personnage pétri de culpabilité et qui de fait, s’efface, tout le contraire du père.
Alors là sans être là, d’un côté comme de l’autre, avec ses amis, avec son mari, elle tergiverse, elle ne s’oppose pas à l’opération puisque l’on comprend que c’est elle qui a fait venir ses amis.
Au cours d’une scène, Kraken, biologiste de son état, sauve une tortue mutilée. Alex et Alvaro observent. . Alvaro demande à Alex si la tortue va s’en sortir, « oui, » répond-elle, mais « elle ne va pas retrouver la mer. »
Quoi que décidera sa fille (opération ou pas ?), Kraken restera à ses côtés et l’aidera disons quasi « physiquement » à vivre ; sa mère aussi sera là, mais plutôt comme la mer devenue eau douce, elle appartiendra en quelque sorte à « l’environnement » : à l’image de leur présence à l’écran.
« La peur de l’ambiguité génitale est une métaphore de toutes les peurs de la différence » dit dans sa note d’intention la réalisatrice.
Symbole de la sagesse, la tortue, sujet de travail de Kraken, s’accorde avec le regard respectueux de la cinéaste dans un sujet aussi délicat...