Paris, septembre 2007



On s’était dit qu’on laisserait définitivement au placard l’incontournable ritournelle due à la sagesse et la finesse proverbiales de Pierre Danos, demi de mêlée d’exception, et qu’on ne redirait plus qu’au rugby « il y a ceux qui déménagent les pianos, et ceux qui en jouent ». On comptait s’inscrire dans le mouvement irrésistible qui reconnaît au jeu des valeurs culturelles et diplomatiques essentielles. Mais comment ne pas songer au temps passé lorsqu’on entend un des plus forts piliers de l’équipe des Pumas, ancien joueur du S.U. Agen, interpréter Schubert pour souligner l’exaltation de ces rencontres du concert des nations dans lequel l’Argentine prend désormais toute sa part.

Depuis ce jour de 1977 où Hugo Porta, buteur hors-pair, parvint à lui seul à faire pièce aux mouvements d’une équipe de France contrainte de se reposer sur l’adresse de Jean-Michel Aguirre dans le même registre pour partager les points, l’Argentine a gagné ses lettres de noblesse et permet à toute une génération de bleu et blanc de tout calibre de briller dans les plus grands clubs de la terre.
Les Jean Lacouture, Denis Lalanne, les successeurs des grands Kleber Haedens et Antoine Blondin, trouveront bien dans ces jeunes joueurs d’autres motifs d’exercer leur verve littéraire, les chercheurs comme Anne Saouter ou Sébastien Darbon ne manqueront pas de s’intéresser de près à ce phénomène d’insertion au sein d’une culture qualifiée bien vite « de clocher », les amoureux de la musique se surprendront à découvrir d’autres élans d’émotion que dans les seuls chants basques, ou autres hymnes gaéliques.

Que faut-il attendre de ces quelques semaines consacrées au combat pour l’obtention du trophée Webb Ellis ? Bien sûr, des retombées en tout genre pour les diverses nations participantes exposées ainsi en pleine lumière devant le monde entier. Des livres et des articles majeurs. Mais peut-être, surtout, l’assurance que le rugby n’a pas son pareil pour accompagner la musique à l’heure où il s’agit d’adoucir les mœurs.

Dominique Fournier

« Etre rugby »

Parmi les sports de compétition, le rugby apparaît comme l’un des plus « virils ». Il doit pour une bonne part cette réputation au jeu lui-même -mêlées, plaquages et autres « percussions » plus ou moins violentes, impacts accentués par le professionnalisme-, mais aussi au parfum de scandale qui entoure les « troisièmes mi-temps » d’après match (terme inventé par Denis Lalanne). La rumeur véhicule à leur propos des légendes épiques et picaresques d’excès alimentaires, éthyliques ou sexuels qui semblent également faire partie du jeu.

Le monde du rugby institue ainsi une sociabilité d’hommes qui passe par l’exclusion, volontiers emphatique, des femmes et tout particulièrement des épouses de joueurs, celles que l’on appelle les « veuves du rugby ». Mais les femmes et les valeurs du féminin ne sont-elles pas beaucoup plus présentes qu’il n’y paraît de prime abord ?

Grâce à une ethnographie approfondie, Anne Saouter démontre que, à côté du modèle dominant dans lequel les femmes ne peuvent être que des « mamans » ou des « putains », on voit se dessiner d’autres modes de présence au féminin, grâce notamment au personnage encore marginal de la joueuse de rugby (parfois coachée par un religieux du monastère voisin). L’expansion du rugby féminin, accompagnée par une présence de plus en plus soutenue des spectatrices au stade, suffiront-elles cependant à remettre en cause un édifice symbolique qui, du moins dans le rugby français, correspondait à une véritable initiation masculine non dépourvue d’ambiguïté ?





A voir :

. L’exposition "Pumas de todos los tiempos" à l’Ambassade d’Argentine, 6 rue Cimarosa 75116 Paris.

. A l’Hôtel de Ville, l’exposition, "Rugby, un monde d’émotions", décline heure par heure une journée de rugby. Conçue par Jacques Verdier (directeur de la rédaction du Midi Olympique) avec la complicité de Fabien Galthié (ancien capitaine de l’équipe de France et entraîneur du Stade français).

. Au musée musée du quai Branly, "La mêlée des cultures", une multitude de rendez-vous gratuits et accessibles à tous pour comprendre cet événement sportif mondial, au-delà des enjeux de l’Ovalie.